D'août 1914 à l'armistice de novembre 1918, 900 Nozéens vont être appelés sous les drapeaux pour faire leurs devoirs de citoyens, laissant une commune de plus en plus déséquilibrée, peuplée d'anciens, d'enfants et de femmes à qui l'on demande de faire aussi leurs devoirs de citoyennes : C'est à dire de suppléer l'absence de leurs maris, de leurs pères ou de leurs frères.
Julienne et Gabrielle Bouteiller
Mais devoir n'est pas pouvoir et la guerre 1914/1918 ne fut pas une période d'émancipation. La tutelle masculine fut de mise, par les soldats eux-mêmes à travers le courrier, par les pères et les frères et par la société. Et dès le retour de la paix, des lois natalistes répressives renvoient les femmes dans leurs foyers pour devenir mères et repeupler le pays.
Lors de la Première Guerre Mondiale, 900 hommes étant mobilisés entre août 1914 et l'Armistice de novembre 1918, les femmes ont contribué à l'effort de guerre par un travail assidu et constant dans une France encore très agricole. Elles ont assumé les pénibles travaux des champs et les récoltes de l'été 1914 ! Malgré leur volonté, la tutelle masculine s'exerçait encore, dans les courriers par les maris, par les pères, les frères, la société ….
Dans le bourg, les femmes furent toutes aussi courageuses. La majorité, souvent vêtues de noir, remplacèrent les hommes absents, dans les commerces et autres, avec détermination. Après la guerre, nombreuses d'entre elles resteront célibataires, faute d'éventuels partis.
Le président du Conseil, René Viviani, lance un appel aux femmes françaises principalement destiné aux paysannes.
« Debout, femmes françaises, jeunes enfants, fille et fils de la patrie. Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Tout est grand qui sert le pays. Debout ! A l'action A l’œuvre ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde. »
Agricultrices de la famille Robin du village du Buffais, pendant la guerre
En lançant cet appel aux femmes françaises, le président René Viviani témoigne le besoin urgent de perpétuer le travail des hommes dans les campagnes. Il s'adresse à elles dans le langage viril de la mobilisation et de la gloire.
Avant la guerre, les femmes de la campagne aidaient leur père, leur époux, leur fils...Elles s’occupaient de la maison, des enfants, souvent des anciens.... Mais aussi des animaux et aussi de la traite, etc ...Pourtant en 1914, dès le mois d'août, elles remplacent les hommes mobilisés juste au moment des récoltes et prennent fermement le relais ?
Et avec elles, enfants, adolescents, personnes âgées du monde rural, retroussent leurs manches et s’activent dans les fermes. Il faut produire, maintenir les terres et le cheptel, nourrir l'armée et la population.
L'espoir d'une guerre courte s'envole vite, et chacun comprend que la France s'engage dans un conflit long et total. Sur le territoire, 850 000 femmes se sont retrouvées à la tête d'exploitations agricole en redoublant d'effort pour compenser la réquisition d'un tiers des chevaux.
Ces femmes se plient à des fatigues physiques supplémentaires avec courage et détermination. Elles veulent collaborer à la victoire et venger les hommes tombés.
A Nozay, sur une population de 4 140 habitants, 900 hommes sont mobilisés ! Pour les remplacer, les femmes entreprennent une pacifique croisade. Elles assurent la prospérité en travaillant à la vie agricole, d épouse et de mère. Ces occupations rurales les attachent au foyer. Elles possèdent des champs, des bois, des prés. La terre contient des trésors, il faut savoir les découvrir et les extraire. Elles savent !
De plus, elles organisent et s’entraident d'une ferme à l'autre. Même le deuil au cœur, elles s'acharnent....Pendant quatre longues années, les femmes se sont battues, à l'arrière, pour l'agriculture dans le but de nourrir le pays. Dès la guerre terminée, en novembre 1918, les hommes reviennent, reprennent les rênes des exploitations.
La majeure partie des femmes sont renvoyées à leurs occupations d'avant-guerre, principalement pour faire des enfants !
En 1921, la récompense du Mérite Agricole valorise le travail féminin pendant la guerre. Citons à Nozay :
Madame Louise Marzellière (La Grange)
Mesdames Anne et Joséphine Grimaud (La Grand'Villatte) qui ont reçu un diplôme d'honneur de la Société d'Agriculture.
-Réservez le vin de nos poilus ;
-Manger moins de viande pour ménager notre cheptel ;
-Restreignez-vous au niveau habillement ou transformer vos vieux vêtements ;
-Écolier, économise le papier en prenant l'ardoise ;
-Le tabac tue le cafard : fumeurs, gardez le tabac pour nos braves poilus ;
-Ne jetez pas d'objets en cuir encore utilisables et donnez-les à l'Armée ;
-Couchez-vous de bonne heure, vous économiserez la lumière.
Dans le bourg aussi, les Nozéennes durent aussi suppléer les hommes au fur et à mesure des incorporations.
Le regroupement intergénérationnel fut de mise, dans les commerces, chez les artisans, et dans les fermes aussi, très nombreuses dans le bourg.
Les femmes de journaliers durent aller à leurs « journées ». La pratique religieuse :(les obsèques, les processions vers Limerdin ou vers Rouans, les messes quotidiennes) furent principalement prises en charge par elles.
Et comme un malheur ne suffisait pas, nombre d'entre-elles moururent de la grippe espagnole, les tous derniers mois du conflit.
Gabrielle Bouteiller- Paré avec ses enfants
« Je m’appelle Gabrielle Paré, élevée à Nozay dans la famille Guitton avec mon frère Raphaël, j’ai épousé en 1900 Joseph Bouteiller, menuisier-ébéniste. Nous nous sommes établis auprès de sa mère qui tenait l’auberge de la route de Nantes à deux pas de la gendarmerie.
Réserviste de la classe 94, avec 4 enfants à charge, Joseph a été mobilisé au début de janvier 1915. Il a rejoint le 35ème régiment d’artillerie à Vannes pour gagner sans tarder la Marne Durant cinq mois il a cantonné dans des conditions précaires au moulin de Courbetaux, près de Montmirail, à environ 50 km du front. Affecté à la surveillance et à la garde des voies de communications, il patrouillait jour et nuit sur les voies ferrées. En plein hiver, il a connu le froid, la pluie, la neige au point de réclamer des vêtements chauds et surtout une paire de comètes pour remplacer ses souliers. Il faut dire que l’intendance militaire n’avait pu équiper ces réservistes restés en habits civils pendant des semaines. Joseph se plaignait, comme beaucoup, de toux, de rhumes, bronchites, soignés à la « va j’ te pousse »
À Nozay, la famille s’était regroupée. Ma belle-sœur Marie Rault - dont le mari gendarme était aussi mobilisé - avait rejoint l’auberge de sa mère avec ses deux enfants. Nous étions donc neuf à la table de la mère Julienne et chacun prenait sa part des tâches domestiques. À côté de l’auberge à faire tourner j’avais aussi sur les bras la menuiserie. Les affaires n’allaient pas fort. Nozay vivait au ralenti, suspendu aux nouvelles de ceux qui sont à la guerre. Les marchés et les commerces manquaient de matières et de bras et le chaland était maigre.
Fin mai, Joseph était heureux – et nous aussi – il retrouvait Nozay. Une courte permission, car dès le 1er juin il avait regagné Vannes pour une visite médicale. Consigné à l’hôpital militaire sous le motif d’une grosse bronchite, il fut mis au régime avec quelques soins. J’ai été le voir dans la chambrée où il gardait le lit. Au fil des jours son état ne s’améliorait pas, sa mauvaise mine n’échappait à personne, lui-même le constatait tristement. Finalement Joseph a été renvoyé dans ses foyers au début juillet. Il nous est arrivé à Nozay très affaibli, toujours alité, peinant même à écrire, et s’acheminant petit à petit vers sa fin. Il nous a quittés trop tôt, le 1er novembre, sans qu’on puisse savoir l’exacte cause de son décès.
Certes, il n’est pas mort au front ; malgré mes démarches je n’ai jamais pu obtenir une quelconque pension de « veuve de guerre ».
Quand, 25 ans plus tard, en 1940, j’ai vu deux de mes fils mobilisés, eux-aussi à Vannes, et maintenus prisonniers sur place par les Allemands, les tristes souvenirs de l’année 1915 sont revenus à ma mémoire ».
Ce témoignage fictif a été rédigé, en septembre 2018, par Jean Bouteiller, petit-fils de Gabrielle Parré et auteur d’un ouvrage sur son grand-père, Joseph Bouteiller.
180 Nozéens moururent de la guerre, plus encore revinrent mutilés et restèrent célibataires. De plus, certains poilus épousèrent des veuves. Au vu de ce manque d'hommes, le nombre de Nozéennes qui ne se marièrent-pas fut très important. La société Nozéenne et cela jusqu'en 1960/1970, fut marqué par la présence de ces « demoiselles-malgré elles » Souvent elles restèrent au service de leurs parents.
A leurs décès, vieillissantes, elles achevèrent, souvent, leurs vies à l'hôpital-hospice de Nozay.
Dans le bourg, cela fut particulièrement visible. Les « vieilles filles », comme on les appelait alors, tenaient un nombre important de commerces et dans leur « châteaux », les vieilles demoiselles régissaient leurs domaines et leurs fermes.
Le souvenir de certaines d'entre-elles, reste encore présents : Adèle Robin et sa mercerie, Maria Geffriaud, la buraliste, Camille Briand, la correspondante de Ouest-France, les demoiselles De Grandmaison ou de Maquillé dans leurs propriétés, les sœurs Hino, au milieu de leurs chapeaux, Topette et Carafon dans leur buvette, place du Marché ou les demoiselles Billot de Cardunel, dans leurs jupes écossaises, au milieu de leurs moutons, lors des concours agricoles.
Camille Briand correspondante de presse
La législation française, donne, en ce début du vingtième siècle, encore beaucoup de pouvoirs aux pères, maris, voir frères sur leurs filles, femmes ou sœurs.
Certains soldats, anticipant leurs possibles disparitions, établir des testaments permettant à leurs femmes d'entrer en jouissance de leurs biens mobiliers et immobiliers s'ils venaient à disparaître.
Pierre Pageaud époux de Marie Gavaland est dans ces dispositions, avant de partir à la guerre.
Il laisse tous ses biens à sa femme ….jusqu'à un certain point !
Lecture du testament olographe de Pierre Pageaud :
« Je soussigné, Pierre Pageaud, léguer à ma femme née Jeanne-Marie Gavaland, la jouissance, à sa vie durant,de tous mes meubles et immeubles et liberté de vendre, au cas de refus de soutien par nos enfants. Mais en cas d'un second mariage, le présent testament sera annulé et mes enfants rentreront en possession de mes meubles et immeubles au jour du second mariage.
Fait à Orange, le 26 juillet 1916. Le testamentaire : Pierre Pageaud
LES SOURCES : Jean Bouteiller (témoignages, photos, et ouvrage « Joseph Bouteiller par son petit-fils », famille Robin (photo), Marie-Paule Cottineau (photos, documents familiaux), Michel Fraboul (documents et photos).