Les vitraux retrouvés de la chapelle perdue

La première mission de sauvegarde du patrimoine nozéen.

L’enquête commence sur le terrain par un pluvieux jour de décembre.

Lors d’une promenade, en traversant le parvis de l’église de Nozay, mon regard s’arrête sur les deux vitraux surplombant le portail d’entrée de l’édifice. 

En les observant de plus près, je remarque que celui de gauche n’est pas homogène, je note la présence d’un personnage dans l’angle inférieur droit qui rompt avec les arcs entrelacés de l’ensemble. 

Sur l’autre vitrail, c’est moins net, mais l’ensemble n’est pas non plus harmonieux.


J’entre alors à l’intérieur de l’édifice, mais ces vitraux là ne sont pas visibles depuis le dallage de l’église. Pour éclaircir ce mystère, je demande l’autorisation d’accéder à la tribune qui se situe au-dessus de l’entrée.

Vus de l’intérieur, l’hypothèse se confirme : deux panneaux ont été rajoutés en bas, ce qui a pour effet de briser la géométrie de l’œuvre. Les vitraux d’origine arborent en leur centre une feuille de vigne cachant une grappe de raisin, et un épi de blé. Le personnage de droite représente, sans aucun doute, Marie, la mère de Jésus. Celui de gauche est un saint homme portant une gerbe de blé avec sous ses pieds, en médaillon, une charrue.

Une question s’impose : mais d’où viennent ces deux panneaux qui se sont invités dans la structure première ?

 

Personne ne le sait...

Pourtant, de nombreuses études ont été faites sur cette église, à commencer par l’histoire heurtée de sa construction racontée par Jean Bouteiller. Les recherches de cet historien nozéen ont abouti à mettre en évidence tous les enjeux politiques, géographiques et symboliques qui ont agité notre petite paroisse de Loire-Inférieure afin de « trouver la place idéale pour implanter une église neuve1 ». L’affaire commence à la fin du premier Empire et l’épilogue se situe à la fin du second, en 1869. A juste titre, le regretté et prolifique historien n’évoque pas ces vitraux, car... ils ne sont pas d’origine.

 C’est ici que l’enquête sur le terrain s’achève…

 

Il faut désormais nous plonger dans les archives et les bibliothèques. J’écarte d’emblée les archives municipales de Nozay et celles du département à Nantes. Je fonce plutôt aux archives historiques du diocèse de Nantes, situées dans les bâtiments du séminaire St-Jean. Quelques demi-journées plus tard, après avoir parcouru tout le livre de paroisse tenu par les curés successifs de Nozay, je trouve ma réponse au jour du 20 février 19542.

 

Ce relevé journalier, acte innocent et routinier, noyé parmi des milliers d’autres, m’attendait religieusement depuis plus d’un demi-siècle. La présence de la charrue, surplombée de la figure d’Isidore, saint patron des laboureurs, dans la tribune de l’église s’explique.

 

Voici pourquoi :

 

Transcription : « Enfin les hautes fenêtres du transept, de la nef et du clocher dont les verres blancs menaçaient ruine, ont été garnies de mosaïques de verres de couleurs. Ce travail a été exécuté par M DEHAIS de Nantes, qui deux ans avant avait réalisé les vitraux scènes des bas-côtés de la nef. Dans le vitrail de la tribune, les deux personnages (l’Immaculée Conception Vierge de Lorette et St-Isidore) sont des panneaux de vitraux ayant figuré dans la chapelle de l’école d’agriculture de Grand-Jouan. M Alfred MARTIN les avait chez lui et il a voulu nous les donner. Je les ai acceptés un peu à contre cœur, car ils rompent un peu l’harmonie du reste, mais pour ne pas déplaire au donateur qui s’imaginait faire un très gros cadeau, j’ai donc dû les accepter. Le coût total de ce travail est monté à la somme considérable de 802 000 frs ».

 

 

Alfred Martin fils (né en 1877) est un peintre installé route de Nantes. Dans nos différentes recherches sur le territoire, nous avons souvent rencontré son père Alfred Martin (1850-1923), un des pionniers de la protection du patrimoine nozéen. Photographe amateur, ce dernier a souvent accompagné des archéologues sur le terrain lors de la construction du chemin de fer de St-Nazaire à Châteaubriant dans les années 1880. Il a sans doute transmis cet intérêt pour le passé à son fils, qui, grâce à son geste, a permis de sauver de la destruction des vitraux datés de 1853, n’en déplaise au curé de l’époque, l’abbé Bonnin.

C’est en effet le dimanche 7 août 1853 qu’est bénie la nouvelle chapelle de l’établissement agricole de Grand-Jouan, sous l’invocation de St-Isidore. Jusqu’à cette date, l’aumônier des écoles, l’abbé Maillard nommé à ce poste depuis janvier 1850, disait la messe dans un petit oratoire aménagé dans la cour, et le dimanche, il se transportait à la chapelle de Limerdin. Ce même dimanche 7 août 1853, l’évêque de Nantes Monseigneur Jacquemet bénit solennellement l’aumônerie voisine pour héberger dignement le saint homme de santé fragile qui décède un an plus tard.

Nous devinons à l’arrière plan le clocher de la chapelle St-Isidore juste à gauche derrière l’entrée de l’établissement. L’aumônerie, toujours en place aujourd’hui mais non visible sur la photo, se situe encore plus à gauche.

Voici l’une des rares photos de la dite chapelle détruite dans les années 1930-40. Nos deux vitraux sont nichés dans les deux lancettes de la façade. Grâce à ce « transfert de reliques » vers l’église St-Pierre, la mémoire des écoles de Grand-Jouan est encore bien vivante à Nozay. Un miracle !!!


Cette enquête historique nous démontre que le sauvetage du patrimoine nozéen est une idée déjà ancienne dans le pays de la pierre bleue. Conscients ou non de leurs gestes, des hommes et des femmes, archéologues amateurs, historiens chevronnés ou simples passionnés, ont permis à des objets, des œuvres artistiques, des gestes, des institutions, des patronymes de traverser les siècles et devenir, non pas des souvenirs abstraits, mais une mémoire bien vivante.

A n’en pas douter, Alfred Martin, père et fils, auraient adhéré sans hésitation à l’ASPHAN et seraient aujourd’hui des animateurs zélés du patrimoine…

 

 

 

1- BOUTEILLER Jean, D’une église à l’autre. Nozay : une querelle de cinquante ans (1815-1865) in Bulletin de la Société historique et archéologique de Nantes et de Loire-Atlantique, p. 389-410, 2021.

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2 - AHDN, 2 P 183, Nozay, A02, livre de paroisse (1880-1964).

 

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