« Comme presque tous les militaires de l’époque, il n’avait vu le monde
qu’à travers la fumée des canons. S’était-il ou non soucié du mariage ? »
Balzac à propos du commandant Genestas, Le médecin de campagne, 1833.
Le dimanche 22 avril 1810, la cloche de l’église du bourg de Nozay sonne la fin d’une messe de mariage pas comme les autres. Le curé Pierre Levesque vient de bénir l’union de Louis Ronceray et Françoise Lefeuvre. Lui est couvreur en congé de réforme, suite à une blessure reçue en Pologne il y a trois ans ; elle est lingère. Après avoir échangé le oui sacramentel, Louis et Françoise font partie des quelques 5000 couples de l’empire français unis à l’ombre du décret de Compiègne du 25 mars 1810.
Le contexte :
Le 20 décembre 1809, Napoléon Ier divorce de Joséphine de Beauharnais car elle ne lui a pas donné d’enfant. Soucieux de fonder une dynastie et d’apaiser les relations diplomatiques entre Paris et Vienne, l’empereur s’empresse de la remplacer par l’archiduchesse Marie-Louise, fille de François Ier d’Autriche. Les noces ont lieu le 2 avril 1810 au Louvre. Mais ce remariage avec une Autrichienne évoque trop celui de Louis XVI et de Marie-Antoinette et peut amener une partie des Français à le considérer comme un traître à la Révolution. Qui plus est, le régime impérial est devenu impopulaire du fait de l’augmentation de la conscription depuis la guerre d’Espagne commencée en 1808. Pour toutes ces raisons, Napoléon Ier signe un décret impérial le 25 mars 1810 à Compiègne qui décide que 6000 mariages de soldats retraités et de filles de bonne conduite et de bonne réputation se dérouleront dans tout l’empire durant le mois d’avril. La date retenue est le 22 avril, mais de nombreux « Mariés de l’empereur » s’uniront dans les semaines qui suivent. Une dot de 600 francs est prévue pour les jeunes filles.
Le choix des époux dans le canton de Nozay :
Les préfets transmettent le décret dans chaque justice de paix de canton de l’empire. On se réunit en toute hâte pour nommer une commission locale dans le but de désigner le militaire et la rosière. Dans le canton de Nozay, elle se réunit le 17 avril 1810, présidée par René Barbier de la Place, juge de paix du canton, et se compose de Pierre Levesque, curé de Nozay, d’Etienne Joseph Grimard, maire de Nozay, d’Henri Jary, maire de Saffré, de François Mahu, le curé de Saffré et de Pierre François Dupont, greffier de la justice de paix. Après avoir examiné les dossiers des candidats potentiels des communes d’Abbaretz, de Nozay, de Puceul, de Saffré, de Treffieux et de Vay, la commission retient le couple Ronceray-Lefeuvre1.
Louis Ronceray est né au village de Mézeray à Fougeray en 1781, mais ses parents s’installent peu de temps après dans une ferme à la Colle à Marsac. Il est orphelin de père et de mère très tôt, dès l’âge de 6 ans. En 1800, âgé de 19 ans, il s’installe comme couvreur à Nozay. En janvier 1803, après avoir tiré un mauvais numéro au conseil de révision au chef-lieu de son canton de naissance, c’est-à-dire à Fougeray, il doit rejoindre le 84ème régiment de ligne. Incorporé en mars, il s’entraîne au maniement des armes et est dirigé comme fusilier au 8ème de ligne en juillet 1803, enregistré sous le nom de « Louis Rosseret ». Ses états de service ont motivé le choix de la commission cantonale d’avril 1810 : il fait les campagnes de 1803, 1804, 1805 à l’armée d’Hanovre, puis celle de 1806 à la Grande Armée. Son régiment affronte les Russes à Mohrungen en Pologne le 25 janvier 1807. Une mauvaise blessure reçue ce jour là entraîne une mise au repos temporaire. Du fait de sa haute stature pour l’époque, il mesure 1,76 mètre, il est affecté au 2ème bataillon de grenadiers du 8ème de ligne en mai 1807. Il est finalement congédié le 6 juin 1809, et rentre à Nozay. Il fait partie du million de vétérans des guerres de l’empire qui se réinsère paisiblement dans la vie civile. Il touche une pension de l’État.
Registre matricule de Louis « Rosseret »1. L’orthographe encore hésitante des patronymes des Français et des Françaises durant le premier 19ème siècle rend toujours difficile l’identification des individus dans les archives. Un obstacle quotidien dans le labeur du chercheur...
Françoise Lefeuvre est née à Conquereuil en 1777, orpheline elle aussi très tôt, dès 8 ans. Elle est sans doute recueillie par sa sœur Jeanne, de 12 ans son aînée, qui épouse Jean Friot en 1788 à Nozay. C’est dans cette commune que 20 ans plus tard, elle fait la rencontre de Louis, ex-grenadier de l’empire, renvoyé dans ses foyers pour blessure. Lors de leur union, il a 28 ans et a parcouru une partie de l’Europe orientale, il a entendu parler russe, polonais, allemand ; elle a 32 ans, lingère et n’a jamais quitté le nord du département de la Loire-Inférieure.
La vie précaire d’un « vieux débris de la Grande Armée » au 19ème siècle :
Le couple habite rue Rolard, le long de la route impériale, puis royale, dans la traverse de Nozay. Ils ont quatre enfants Louis et Prosper, qui seront tous deux couvreurs, Zoë et Julienne. On retrouve la trace de Louis père sur les nombreux chantiers de construction de la commune de Nozay sur lesquels il travaille en compagnie des autres ouvriers du bâtiment, qui sont aussi ses amis, les maçons Pierre Cadet et Pierre Briand, le charpentier Pierre Vernet et bien d’autres. Lors de la formation de la garde nationale en 1830, son passé de grenadier lui permet d’obtenir un temps le grade de sergent. Son fils aîné Louis prendra la relève du père et fera partie de la première compagnie de sapeurs pompiers de Nozay en 1839.
Au décès du père, le 2 mars 1851, aucun inventaire n’est effectué, ce qui prouve que la bienfaisance impériale ne l’a guère fait sortir d’une condition sociale déjà précaire. Il meurt un an trop tôt car, en 1852, l’arrivée du neveu de Napoléon sur le trône impérial et l’attribution de la médaille de Ste-Hélène est la première marque de sollicitude d’un gouvernement du 19ème siècle à l’égard des vétérans des guerres de l’empire.
Une petite anecdote pour finir : son fils aîné Louis se mariera le 22 avril 1853, date anniversaire du « mariage impérial » de ses parents.
Le grenadier de l’infanterie de ligne en 1809. Le bonnet de peau d’ours demeure l’attribut des bataillons de ces soldats d’élite, à la haute stature et déjà vétérans de plusieurs campagnes. Les planches d’uniformes ne sont pas le reflet de la dure réalité de la vie de campagne. Pas sûr que notre Nozéen portât une telle tenue le jour de son congé en juin 1809.
François Aubrée
1Dans les cantons voisins, les « Mariés de l’empereur » sont : Pierre Gounet, laboureur à la Noë, et Renée Cherhal, natifs de Sion et mariés le 22 avril 1810, pour le canton de Derval ; Pierre Rialland laboureur au village de l’Ile à Nort, et Françoise Gastard, se marient le dimanche 29 avril 1810 à Nort ; François Palierne, laboureur au village de Bois Rouaud à Moisdon, épouse le 17 mai 1810 Marie Chaplais à Louisfert, pour le canton de Moisdon ; aucun mariage dans le canton de Blain, ni dans les cantons de Guémené et de Riaillé. Ces trois derniers exemples démontrent que les vétérans n’ont pas tous accepté de conclure des unions matrimoniales imposées par le gouvernement, malgré le soutien pécuniaire de 600 frs.
2 SHD/GR 21 YC 68 : registres matricules des sous-officiers et hommes de troupe du 8ème régiment d’infanterie de ligne